Hydrodiplomatie - Le Fleuve Sénégal
Interview de Olivier Cogels par Chritian Brethaut de l'Université de Genève sur la gestion du fleuve Sénégal et le rôle de l'OMVS
Genève, 2015
Mis en ligne le 16 juin 2020
Bonjour Olivier, merci d'avoir accepté notre invitation pour intervenir dans cette séquence qui porte sur la coopération dans le bassin du Sénégal, est-ce que vous pourriez commencer par vous présenter pour les personnes qui vont nous suivre?
Je suis spécialisé en gestion des ressources en eau, et plus particulièrement en hydro-diplomatie pour la gestion des grands fleuves internationaux. Ces dernières 20 années, j'ai essentiellement presté en Afrique et en Asie, comme expert pour les grandes organisations internationales, telles que la Banque Mondiale, la Commission Européenne, les Nations unies, sans oublier la Direction pour la coopération et le développement suisse. Je suis par ailleurs également professeur extraordinaire à l'Université catholique de Louvain-la-Neuve en Belgique.
D'accord, très bien. L'Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal est souvent citée comme un bon exemple en matière de gestion transfrontalière de l'eau, pouvez-vous nous indiquer quelles sont les raisons de ce cas, et pourquoi est-ce un cas exemplaire? Son caractère exemplaire est surtout d'ordre géopolitique, parce que l'OMVS est un bel exemple, le seul vraiment que je connaisse dans les pays en développement de plusieurs pays partageant un même fleuve international, qui décident d'investir ensemble dans un programme intégré de construction de plusieurs infrastructures hydrauliques et portuaires. Les États sont donc véritablement copropriétaires des infrastructures, et partagent à la fois les coûts et les bénéfices selon une clé de répartition. Une autre particularité de l'organisme de bassin, OMVS, est qu'il agit non seulement en tant que planificateur et conseiller de ces gouvernements, mais aussi en tant qu'exploitant des infrastructures communes. En d'autres mots, l'organisme produit de l'électricité, gère les niveaux d'eau, et fait l'entretien des ouvrages, des barrages, des digues etc.
D'accord, pouvez-vous nous indiquer comment les États ont-ils décidé de s'organiser? Si la volonté de développement intégré du bassin et du fleuve Sénégal remonte au XIXe siècle, une première ébauche d'organisation proprement dite remonte aux années 30, avec la création de la mission d'étude et d'aménagement du fleuve Sénégal. Après la décolonisation, précisément en 1963, les quatre pays riverains, la Guinée, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, ont mis en place un comité inter-États, et c'est alors cinq ans plus tard que les quatre états ont créé une organisation commune connue à l'époque comme, Organisation des États riverains du Sénégal. Malheureusement, cette initiative fut paralysée, et finalement abandonnée, en raison de problèmes politiques entre la Guinée et le Sénégal. Il faut alors attendre 1972, pour que trois pays, le Mali, le Sénégal et la Mauritanie, donc sans la Guinée, décident de créer l'Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal, OMVS, telle qu'on la connaît encore aujourd'hui. Et dont le siège est à Dakar. Donc la Guinée n'a rejoint l'organisation que beaucoup plus tard, en 2006 exactement. L'OMVS est chargée depuis plus de 40 ans de mettre en œuvre un programme d'investissements communs qui comprenait initialement plusieurs grands projets. Un premier est le barrage anti-sel à 20 kilomètres de l'embouchure, sur la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, qui, achevé en 1986, avait comme objectif de développer l'irrigation à raison d'environ 350 000 hectares dans la vallée et dans le delta. Deuxième grand projet, c'est le barrage hydro-électrique de Manantali qui, au Mali, essentiellement au Mali, qui fut achevé en 1988. Et enfin un ambitieux projet de navigation comprenant entre autres deux ports intérieurs. Alors, comment est-ce que l'organisation fonctionne en pratique aujourd'hui? D'abord, il existe dans chaque pays une cellule nationale et un comité de coordination nationale, un secrétariat technique, commun, conjoint, est établi à Dakar, un Haut Commissaire est nommé selon un principe de rotation entre les pays, et le tout est chapeauté par une Conférence des chefs d'État et un Conseil des ministres qui se réunissent annuellement. Il y a aussi des organes consultatifs, comité permanent des eaux etc. Et les modalités de répartition des eaux entre les pays, et l'approbation de nouveaux projets, sont régis par une Charte des eaux signée en 2002. Il est important de noter aussi, dans le cadre de l'OMVS, que l'exploitation des infrastructures a été confiée à trois sociétés publiques. La Société de gestion des eaux de Manantali, ou SOGEM, créée en 1997, la Société de gestion des eaux de Diama, également créée en 1997, et plus récemment la SOGENAV, pour la gestion de l'exploitation de la navigation, créée en 2011. >> Très bien, donc on voit que ce fleuve Sénégal connaît une architecture institutionnelle très aboutie, si on le compare à d'autres cas, et notamment à des cas européens, on voit dans le cas du Rhin par exemple, que c'est une pollution massive du fleuve qui a vraiment été un véritable élan pour la coopération entre les États. Qu'en est-il du Sénégal, quels ont été vraiment les trigger points, comme on dirait en anglais, qui ont favorisé ces coopérations entre les États? Comme je l'ai déjà souligné, le processus de création d'une institution commune date d'assez longtemps. Mais c'est finalement la sécheresse de la fin des années 60 et du début des années 70 qui a accéléré la création en 1972 de l'OMVS. Remarquons au passage qu'à l'époque, il était beaucoup plus facile qu'aujourd'hui, pour des gouvernements, d'emprunter d'importants moyens financiers auprès de la Banque mondiale pour construire des grands barrages, et d'autant plus que l'argument de lutte contre la sécheresse était un argument de poids.
Évidemment, et donc in fine, quels sont les principaux problèmes que l'organisation a permis de régler? Si on veut résumer en quelques mots, je dirais répondre aux besoins de développement et de lutte contre la pauvreté dans une région particulièrement soumise aux aléas climatiques. Alors, à ce jour on peut souligner deux résultats probants, la production d'électricité d'une part, bien qu'elle a mis 15 ans à démarrer après la construction du barrage, et la production d'eau douce, à la fois pour l'agriculture et pour les besoins domestiques. Et à cet égard, le résultat vraiment remarquable, est l'arrêt de l'intrusion d'eau salée dans le fleuve, par le barrage de Diama. Il faut savoir qu'avant la construction de ce barrage, l'eau salée pouvait remonter jusqu'à 300 kilomètres à l'intérieur des terres. Ce barrage anti-sel permet, non seulement de développer l'irrigation dans le delta et la vallée, et d'autre part aussi d'alimenter toute la ville de Dakar à 250 kilomètres plus au Sud. Toutefois, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, l'irrigation doit continuer à s'étendre parce que l'objectif des 350 000 hectares est loin d'avoir été atteint, le projet de développement de la navigation a mis énormément de temps à démarrer et il reste encore un potentiel hydro-électrique assez important à continuer. Mais l'essentiel, je crois, à retenir, c'est que dans le cas du fleuve Sénégal, les investissements peuvent se faire pacifiquement, sur la base d'une bonne entente et d'une institution commune, et que, finalement cette initiative a permis d'étendre la coopération également à d'autres secteurs.
Merci C'est moi qui vous remercie.
D'accord, très bien. L'Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal est souvent citée comme un bon exemple en matière de gestion transfrontalière de l'eau, pouvez-vous nous indiquer quelles sont les raisons de ce cas, et pourquoi est-ce un cas exemplaire? Son caractère exemplaire est surtout d'ordre géopolitique, parce que l'OMVS est un bel exemple, le seul vraiment que je connaisse dans les pays en développement de plusieurs pays partageant un même fleuve international, qui décident d'investir ensemble dans un programme intégré de construction de plusieurs infrastructures hydrauliques et portuaires. Les États sont donc véritablement copropriétaires des infrastructures, et partagent à la fois les coûts et les bénéfices selon une clé de répartition. Une autre particularité de l'organisme de bassin, OMVS, est qu'il agit non seulement en tant que planificateur et conseiller de ces gouvernements, mais aussi en tant qu'exploitant des infrastructures communes. En d'autres mots, l'organisme produit de l'électricité, gère les niveaux d'eau, et fait l'entretien des ouvrages, des barrages, des digues etc.
D'accord, pouvez-vous nous indiquer comment les États ont-ils décidé de s'organiser? Si la volonté de développement intégré du bassin et du fleuve Sénégal remonte au XIXe siècle, une première ébauche d'organisation proprement dite remonte aux années 30, avec la création de la mission d'étude et d'aménagement du fleuve Sénégal. Après la décolonisation, précisément en 1963, les quatre pays riverains, la Guinée, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, ont mis en place un comité inter-États, et c'est alors cinq ans plus tard que les quatre états ont créé une organisation commune connue à l'époque comme, Organisation des États riverains du Sénégal. Malheureusement, cette initiative fut paralysée, et finalement abandonnée, en raison de problèmes politiques entre la Guinée et le Sénégal. Il faut alors attendre 1972, pour que trois pays, le Mali, le Sénégal et la Mauritanie, donc sans la Guinée, décident de créer l'Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal, OMVS, telle qu'on la connaît encore aujourd'hui. Et dont le siège est à Dakar. Donc la Guinée n'a rejoint l'organisation que beaucoup plus tard, en 2006 exactement. L'OMVS est chargée depuis plus de 40 ans de mettre en œuvre un programme d'investissements communs qui comprenait initialement plusieurs grands projets. Un premier est le barrage anti-sel à 20 kilomètres de l'embouchure, sur la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, qui, achevé en 1986, avait comme objectif de développer l'irrigation à raison d'environ 350 000 hectares dans la vallée et dans le delta. Deuxième grand projet, c'est le barrage hydro-électrique de Manantali qui, au Mali, essentiellement au Mali, qui fut achevé en 1988. Et enfin un ambitieux projet de navigation comprenant entre autres deux ports intérieurs. Alors, comment est-ce que l'organisation fonctionne en pratique aujourd'hui? D'abord, il existe dans chaque pays une cellule nationale et un comité de coordination nationale, un secrétariat technique, commun, conjoint, est établi à Dakar, un Haut Commissaire est nommé selon un principe de rotation entre les pays, et le tout est chapeauté par une Conférence des chefs d'État et un Conseil des ministres qui se réunissent annuellement. Il y a aussi des organes consultatifs, comité permanent des eaux etc. Et les modalités de répartition des eaux entre les pays, et l'approbation de nouveaux projets, sont régis par une Charte des eaux signée en 2002. Il est important de noter aussi, dans le cadre de l'OMVS, que l'exploitation des infrastructures a été confiée à trois sociétés publiques. La Société de gestion des eaux de Manantali, ou SOGEM, créée en 1997, la Société de gestion des eaux de Diama, également créée en 1997, et plus récemment la SOGENAV, pour la gestion de l'exploitation de la navigation, créée en 2011. >> Très bien, donc on voit que ce fleuve Sénégal connaît une architecture institutionnelle très aboutie, si on le compare à d'autres cas, et notamment à des cas européens, on voit dans le cas du Rhin par exemple, que c'est une pollution massive du fleuve qui a vraiment été un véritable élan pour la coopération entre les États. Qu'en est-il du Sénégal, quels ont été vraiment les trigger points, comme on dirait en anglais, qui ont favorisé ces coopérations entre les États? Comme je l'ai déjà souligné, le processus de création d'une institution commune date d'assez longtemps. Mais c'est finalement la sécheresse de la fin des années 60 et du début des années 70 qui a accéléré la création en 1972 de l'OMVS. Remarquons au passage qu'à l'époque, il était beaucoup plus facile qu'aujourd'hui, pour des gouvernements, d'emprunter d'importants moyens financiers auprès de la Banque mondiale pour construire des grands barrages, et d'autant plus que l'argument de lutte contre la sécheresse était un argument de poids.
Évidemment, et donc in fine, quels sont les principaux problèmes que l'organisation a permis de régler? Si on veut résumer en quelques mots, je dirais répondre aux besoins de développement et de lutte contre la pauvreté dans une région particulièrement soumise aux aléas climatiques. Alors, à ce jour on peut souligner deux résultats probants, la production d'électricité d'une part, bien qu'elle a mis 15 ans à démarrer après la construction du barrage, et la production d'eau douce, à la fois pour l'agriculture et pour les besoins domestiques. Et à cet égard, le résultat vraiment remarquable, est l'arrêt de l'intrusion d'eau salée dans le fleuve, par le barrage de Diama. Il faut savoir qu'avant la construction de ce barrage, l'eau salée pouvait remonter jusqu'à 300 kilomètres à l'intérieur des terres. Ce barrage anti-sel permet, non seulement de développer l'irrigation dans le delta et la vallée, et d'autre part aussi d'alimenter toute la ville de Dakar à 250 kilomètres plus au Sud. Toutefois, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, l'irrigation doit continuer à s'étendre parce que l'objectif des 350 000 hectares est loin d'avoir été atteint, le projet de développement de la navigation a mis énormément de temps à démarrer et il reste encore un potentiel hydro-électrique assez important à continuer. Mais l'essentiel, je crois, à retenir, c'est que dans le cas du fleuve Sénégal, les investissements peuvent se faire pacifiquement, sur la base d'une bonne entente et d'une institution commune, et que, finalement cette initiative a permis d'étendre la coopération également à d'autres secteurs.
Merci C'est moi qui vous remercie.
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